L’histoire du temps présentJuillet 1941: le tournant génocidaire de la politique antijuive nazie

L’histoire du temps présent / Juillet 1941: le tournant génocidaire de la politique antijuive nazie
Stalingrad 1941 Photo: dpa

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Dès le début de l’invasion de l’URSS, des commandos mobiles commencèrent à massacrer les Juifs soviétiques. Le front de l’Est devint très rapidement un laboratoire génocidaire, où le régime nazi mit au point ce qui allait devenir sa „Solution finale à la question juive“, applicable à toute l’Europe occupée. Au moment où ce tournant génocidaire était pris à l’Est, la situation des 1.000 Juifs encore au Luxembourg se dégrada, elle aussi, dramatiquement.

Jusqu’en 1941, la revanche avait été le principal moteur de l’action politique d’Adolf Hitler – revanche pour la défaite de 1918, revanche sur les ennemis extérieurs et intérieurs de l’Allemagne qui, depuis qu’elle avait fait son unité, n’avait eu de cesse de l’entraver, la rabaisser. Après être arrivé au pouvoir, il avait d’abord réglé leur compte aux premiers: communistes, socialistes, libéraux, Juifs … Il s’était ensuite tourné vers les seconds, commençant par éliminer une par une les humiliations imposées par le Diktat de Versailles: l’occupation française de la Sarre, la démilitarisation de la rive gauche du Rhin, l’abandon de millions d’Allemands en Autriche, en Tchécoslovaquie ou en Pologne.

Lorsque le conflit ouvert avec la France et le Royaume-Uni éclata en septembre 1939, il vit enfin le moment de rejouer la Guerre mondiale, et de la gagner cette fois. Ce qui arriva ensuite combla ses rêves les plus fous. En moins de deux mois la Wehrmacht réussit à faire ce que les armées du Kaiser avaient tenté en vain pendant quatre ans, mettre la France à genou. Au début de l’été 1941, l’Allemagne nazie était ainsi maîtresse de l’Europe. Ses troupes campaient du Cercle polaire au Sahara, de Brest à Brest-Litovsk. C’est alors qu’il entreprit l’invasion de l’Union soviétique.

Le front de l’Est, laboratoire génocidaire

Cette guerre-là était d’une essence nouvelle, elle n’avait plus pour sens de réparer le passé, mais de préparer l’avenir, conquérir l’Eurasie pour faire de l’Allemagne une superpuissance. L’attrait supplémentaire de ce projet était que sa réalisation exigeait la destruction du judéo-bolchevisme, l’ennemi mortel du Troisième Reich. Dès qu’elle pénétra sur le territoire soviétique, la force d’invasion allemande entreprit de neutraliser le danger que représentait à ses yeux les 5 millions de Juifs qui y vivaient.

Cette tâche fut plus particulièrement confiée aux quatre „Einsatzgruppen“, dont les 3.000 hommes, des policiers pour la plupart, avaient reçu l’ordre de soumettre à une „Sonderbehandlung“ – c’est-à-dire à exécuter – les „potentielle Gegner“, en premier lieu les Juifs communistes. Mais au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient en URSS, les Einsatzgruppen élargirent la catégorie des „ennemis potentiels“. A partir du début du mois de juillet, ils se mirent à abattre tous les hommes juifs en âge de porter les armes. Au début du mois suivant, les femmes et les enfants furent à leur tour systématiquement assassinés.

Le front de l’Est était ainsi devenu un laboratoire génocidaire où le régime nazi mit au point ce qui allait devenir sa „Solution finale à la question juive“, applicable à toute l’Europe occupée. Dès le 31 juillet, Hermann Göring adressa une lettre à Reinhard Heydrich, le numéro deux de la SS, pour le charger de „produire dans les plus brefs délais un projet d’ensemble sur les premières mesures pratiques d’organisation à prendre pour mener à bien la solution tant désirée du problème juif“.

Les conditions de vie des Juifs du Luxembourg se dégradent dramatiquement

Au moment où la politique antijuive du Troisième Reich prenait un tournant génocidaire à l’Est, la situation des 1.000 Juifs encore au Luxembourg se dégrada, elle aussi, dramatiquement. Le 10 juillet, le chargé d’affaires américain dans le Grand-Duché, George Platt-Waller, fut expulsé par les Allemands. Avec le départ du dernier diplomate étranger accrédité par la Grande-Duchesse disparaissait aussi la meilleure option pour quitter le pays. Au cours des derniers mois, Platt-Waller avait délivré autant de visas qu’il avait pu et permis à des centaines de Juifs de partir pour son pays.

Le 29 juillet, le Gauleiter Gustav Simon promulgua une nouvelle ordonnance „betreffend Ordnung des jüdischen Lebens in Luxemburg“. Cette nouvelle règlementation avait pour but d’isoler davantage une population pourtant déjà fortement marginalisée. Un couvre-feu, de 19.00 à 7.00 h, fut imposé aux Juifs, ainsi que l’obligation de faire leurs courses entre 9.00 et 11.00 h. La fréquentation des cinémas, théâtres, bains publics, gymnases, etc., ainsi que la participation à des manifestations publiques, politiques ou culturelles, leur était dorénavant interdite.

D’autres dispositions de l’ordonnance stigmatisaient les Juifs pour les rendre plus visibles. Les femmes durent adopter le prénom additionnel Sara, les hommes le prénom additionnel Israel. Mais la mesure la plus frappante fut le port obligatoire au bras gauche d’un bandeau jaune qui, trois mois plus tard, sera remplacé par l’étoile jaune frappée de l’inscription „Jude“.

Les réactions de la majorité non-juive

Comment la majorité non-juive réagit-elle à ces mesures? C’était précisément la question que s’était posé un agent du SD. Il y apporta la réponse suivante: „Allgemein hat sich auf die luxemburgische Bevölkerung die Kennzeichnung der Juden positiv ausgewirkt. Diese Massnahme wurde nicht nur von den Zuverlässigen Angehörigen der Volksdeutschen Bewegung mit Freude begrüsst, sondern fand auch bei einem grossen Teil der deutschfeindlichen Luxemburger vielfach Zustimmung. Lediglich einige wenige Intellektuelle oder christlich gebundene Gegner sprachen sich ablehnend darüber aus. Die allgemeine Volksstimmung zu dieser Massnahme kommt am besten in der folgenden Bemerkung zum Ausdruck: ,Ob nun Deutschland siegt oder nicht, es ist gut, dass wir die Juden los sind, und wir werden darauf halten, dass sie sich nicht mehr durchsetzen1.‘“

L’agent allemand surestimait-il l’antisémitisme au Luxembourg, par exemple dans le but de mettre en valeur un succès du régime nazi dans ce pays? Cela paraît douteux, le SD avait, au contraire, tendance à monter en épingle le moindre signe d’opposition. Sa présentation des faits fut par ailleurs confirmée a posteriori par un document produit par la Lëtzebuerger Vollekslegio’n. Ce groupe de résistance, catholique et nationaliste, qui venait alors à peine d’être fondé, se dota le 1er août d’un programme qui incluait des articles antisémites:

1. Nous ne demandons à aucun juif qui est parti, de revenir au Grand-Duché;

2. Nous ne tolérerons que les juifs luxembourgeois ou qui habitaient depuis plus de 25 ans dans le pays;

3. Des lois justes empêcheront les juifs de vendre meilleur marché que les commerçants luxembourgeois;

4. Plus aucun juif ne pourra acquérir la nationalité luxembourgeoise2.

Ces passages sont terribles lorsque l’on songe à ce qui allait arriver, à ce qui était déjà en gestation à l’Est. Ils étaient l’expression d’un antisémitisme obsolète et myope, qui en était encore à forger des projets discriminatoires, alors même que son variant nazi était en train de tirer les conclusions fatales de sa logique de purification.

Le piège se referme

A ce moment précis, les Juifs du Luxembourg avaient toutefois des soucis plus pressants. Ceux d’entre eux qui avaient pu émigrer aux Etats-Unis, notamment le Grand-Rabbin Robert Serebrenik, qui était arrivé à New York deux mois plus tôt, essayèrent d’organiser le départ des autres, avec le soutien du gouvernement luxembourgeois en exil. Le 2 juillet, Serebrenik et l’ambassadeur du Grand-Duché à Washington, Hugues Le Gallais, furent reçus au State Department. Ils ne parvinrent pas cependant à obtenir les visas souhaités.

Quelques jours après l’annonce du départ de Platt-Waller, le ministre des Affaires étrangères, Joseph Bech, informa Antoine Funck, le diplomate luxembourgeois qui se trouvait à Vichy, que les multiples démarches entreprises auprès du Royaume-Uni ou des pays neutres pour obtenir des visas n’avaient pas eu de grands succès. Au cours du mois de juillet, le ministre de la Justice, Victor Bodson, lança une dernière initiative. Avec l’accord des Suisses, il proposa au State Department d’autoriser les consulats américains dans la Confédération helvétique à délivrer des visas aux Juifs de nationalité luxembourgeoise, piégés en Europe occupée. Cette fois-ci, ce sont les Allemands qui refusèrent.

Pendant ce temps, les autorités allemandes transformèrent l’ancien couvent de Cinqfontaines, près de Troisvierges, en une soi-disant Jüdisches Altersheim. Il s’agissait en réalité d’un camp d’internement pour des personnes qui étaient d’ores et déjà trop âgées ou en trop mauvaise santé pour émigrer – une antichambre de la mort.

1 Archives nationales de Luxembourg (ANLux), Fonds Microfilms Divers (FMD) 065, Meldungen aus dem Reich, N° 217, 4 septembre1941, pièces 0096-0100.

2 CERF, Paul, „L’attitude de la population luxembourgeoise à l’égard des juifs pendant l’occupation allemande“, in: Présence juive au Luxembourg du Moyen Âge au XXe siècle (La), sous la direction de MOYSE, Laurent et SCHOENTGEN, Marc, Luxembourg: B’nai Brith, 2001, pp. 71-74.