Histoire du temps présentDécembre 1941: et la guerre devint mondiale

Histoire du temps présent / Décembre 1941: et la guerre devint mondiale
Cette photo non datée montre des fantassins lors des combats de rue autour de Stalingrad Photo: dpa

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Il y a exactement 80 ans, la guerre prenait un tournant décisif. La défaite de la Wehrmacht devant Moscou et l’entrée en guerre des Etats-Unis transformèrent la guerre éclair en guerre d’usure et lui donnèrent une dimension véritablement mondiale. Une ère nouvelle venait de commencer.

La ville satellite de Khimki se situe à environ 25 km du centre-ville de Moscou. Les habitants du nord-ouest de l’agglomération la connaissent avant tout pour son magasin IKEA. En face de ce dernier se dresse cependant un monument plutôt laid. Composé de trois „hérissons tchèques“ – des obstacles anti-char – surdimensionnés, il marque la position la plus avancée que les Allemands atteignirent en décembre 1941, lors de leur offensive sur la capitale soviétique.

A le voir de prime abord, on pourrait se dire que la Wehrmacht n’a raté son objectif final que de très peu. En réalité, ce monument illustre surtout la situation pathétique dans laquelle se retrouva cette force d’invasion qui n’avait pas les moyens de ses ambitions et ne trouva pas mieux, pour compenser ses carences, que de s’abandonner à une surenchère d’arrogance raciste.

Une nouvelle guerre éclair

Les faiblesses de l’outil militaire allemand n’étaient pourtant pas inconnues au Generaloberst Franz Halder, l’un des concepteurs de l’opération Barbarossa. C’est pourquoi il n’envisageait de victoire allemande que dans les premières semaines de l’offensive. La Wehrmacht devait prendre de vitesse l’Armée rouge, concentrée à la frontière, prendre ses unités en tenaille, les envelopper puis les détruire, comme elle l’avait fait un an auparavant avec les unités françaises et britanniques massées en Belgique. Au début, cette stratégie de guerre éclair fonctionna aussi en Russie.

„Es ist also wohl nicht zuviel gesagt, wenn ich behaupte, dass der Feldzug gegen Russland innerhalb von 14 Tagen gewonnen wurde“, écrivait Halder le 3 juillet 1941 dans son journal. Mais à peine six semaines plus tard, le 11 août 1941, il avait complètement changé d’avis et alerta dans un rapport: „Unsere letzten Kräfte sind ausgegeben […] In der gesamten Lage hebt sich immer deutlicher ab, dass der Koloss Russland […] von uns unterschätzt worden ist […] Wir haben bei Kriegsbeginn mit 200 feindlichen Divisionen gerechnet jetzt zählen wir bereits 360.“1)

Il y en avait même plutôt 600. Les événements des semaines suivantes ravivèrent toutefois l’espoir d’une nouvelle victoire éclair de l’Allemagne. Démarrée à la mi-août, l’offensive sur Kiev, la plus grande bataille d’encerclement de la guerre, se solda, fin septembre, par un nouveau succès pour la Wehrmacht, qui tua ou captura presque un million de soldats soviétiques.

La faute au temps

Début octobre, la Wehrmacht lança sur Moscou, l’offensive censée donner le coup de grâce au pouvoir soviétique. Les Allemands progressèrent de nouveau rapidement, du moins dans un premier temps. Le 2 octobre, l’une de leurs unités de reconnaissance atteignit Khimki. Pour faire tomber la capitale soviétique située à une salve d’artillerie de là, l’ensemble de leurs forces devait toutefois progresser de quelques centaines de kilomètres vers l’est afin d’encercler la ville et les armées qui la défendaient. Elles n’y parvinrent jamais. Le 5 décembre une contre-offensive bouscula leurs troupes étirées.

Au lendemain de la guerre, la plupart des experts allemands – parmi lesquels un certain Franz Halder, chargé par les Américains d’écrire l’histoire de la Wehrmacht – attribuèrent la défaite de leur pays pour bonne part au climat russe. L’avancée de la Wehrmacht avait d’abord été ralentie par cette véritable mer de boue, la raspoutitsa, causée par les pluies d’automne; le terrible hiver russe avait ensuite supplicié ses hommes mal équipés pour y faire face et épuisés par des mois de campagne.

Mais l’explication était partiale car partielle. Les stratèges allemands ignoraient-ils d’ailleurs réellement que l’automne, il pleuvait en Russie et que l’hiver il y faisait froid? Attribuer l’échec au temps était une manière de garder en vie ce mythe de la machine de guerre d’une implacable efficacité, dont une masse de „sous-hommes slaves“, commandée par ses maîtres „judéo-bolcheviques“, n’aurait jamais pu venir à bout.

Les raisons de l’échec allemand devant Moscou

L’échec de la Wehrmacht devant Moscou était aussi due à des déficiences profondes, structurelles. Premièrement, sa logistique reposant sur des lignes de communication distendues et sur des chevaux plutôt que des camions, peinait à approvisionner ses soldats en vivres, munitions ou carburant. Deuxièmement, la plupart des divisions avaient perdu tellement d’hommes et de matériel que certaines d’entre elles n’étaient quasiment plus opérationnelles.

Troisièmement, même si la logistique allemande avait été parfaitement au point, sur le long terme elle n’aurait pas été à même de compenser les pertes sur le front Est, parce que l’Allemagne était en train de buter contre ses limites. Elle n’avait pas assez d’hommes, d’essence, d’acier ou de charbon pour mener une guerre longue contre l’URSS – d’où l’urgence de la battre en quelques semaines.

Quatrièmement, donc, l’Allemagne fut tout simplement battue par un adversaire qui pouvait certes compter sur un climat extrême et un territoire gigantesque, mais qui était en outre capable de mobiliser ses énormes ressources pour les mettre au service d’un complexe militaro-industriel rustique mais efficace. Ainsi, malgré la perte de 5 millions d’hommes, l’URSS était toujours capable de lever de nouvelles recrues, de mobiliser suffisamment d’officiers et de sous-officiers pour les encadrer et de produire de quoi les équiper. Cela lui permit de riposter.

Pearl Harbor

La contre-offensive soviétique de décembre 1941 ne parvint pas à détruire les forces allemandes mais tout de même à les repousser. C’était la première fois que cela arrivait depuis le début de l’invasion et ce demi-succès réduisit à néant l’espoir des chefs militaires allemands de remporter une victoire rapide. La guerre éclair devait se transformer en une guerre d’usure, à laquelle le Reich n’était pas préparé, qu’il n’avait au fond pas le potentiel de mener.

Ce changement eut lieu au moment-même où la guerre devint réellement mondiale. L’autre événement important de cette fin d’année fut l’attaque surprise par les Japonais de la flotte américaine du Pacifique, dans sa base de Pearl Harbor, qui eut lieu le 7 décembre et précipita l’entrée en guerre des Etats-Unis. Quatre jours plus tard, l’Allemagne, mais aussi l’Italie, se rangèrent résolument du côté de l’Empire japonais, déclarant à leur tour la guerre aux Etats-Unis.

Pourquoi Hitler, qui était déjà en difficulté sur le front Est, décida-t-il d’affronter un nouvel ennemi, qui allait agréger ses formidables ressources et ses capacités industrielles à celle de l’Empire britannique et de l’Union soviétique? Pour gagner du temps. Son calcul était que les Etats-Unis arrêteraient de fournir armes et matières premières aux Britanniques parce qu’ils en avaient dorénavant besoin, et qu’ils se concentreraient sur le Japon, laissant ainsi le temps aux Allemands d’abattre l’URSS.

L’obsolescence de l’Europe

Le pari particulièrement hasardeux de Hitler reposait sur plusieurs présupposés. Il présumait d’abord que les Américains considèreraient l’Europe comme un théâtre secondaire. Il estimait aussi que s’ils étaient certes doués pour le commerce, ils n’auraient aucun talent pour la guerre. Les Américains étaient selon lui une „race“ composite, amollie par l’esprit de jouissance et l’„influence juive“.

Ce type d’arguments spécieux, qui l’avait déjà conduit à sous-estimer l’URSS, combiné à la croyance en sa prédestination, en celle de sa „race“ et au triomphe de la volonté sur le bassement matériel était au final tout ce qu’il avait à opposer à cette réalité implacable: ses adversaires disposaient de ressources naturelles, industrielles et militaires ô combien plus considérables que celles de l’Allemagne.

Que la puissance qui avait conquis le vieux continent en quelques mois en soit réduite à nier l’évidence de son infériorité objective au nom de supériorité raciale et de sa vocation naturelle à dominer le monde montre que décembre 1941 ne marqua pas seulement un tournant dans la guerre, mais un changement d’époque. Le temps de la domination européenne était définitivement révolu. L’historien britannique Adam Tooze l’exprima ainsi dans son livre „Le salaire de la destruction“: „Barbarossa fut un produit tardif et pervers d’une tradition européenne de conquête et d’implantation coloniales – d’une tradition qui n’avait pas encore pleinement conscience de son obsolescence. L’ignorance condescendante manifestée de toutes parts, pas uniquement par les Allemands, mais aussi par les Britanniques et les Américains, envers la puissance de feu de l’Armée rouge en est un signe. […]. Ce que l’Allemagne trouva en Russie soviétique en 1941, ce n’est pas le ,primitivisme slave“, mais le dernier exemple et le plus marquant d’une dictature dont le développement était une réussite; ce que révéla l’enlisement de la progression de la Wehrmacht vers Moscou, ce n’est pas l’arriération de la Russie, mais la modernisation partielle de l’Allemagne dans les années 1940. La carte de la puissance économique et militaire du XIXe siècle, centrée sur les Etats établis d’Europe occidentale n’existait plus. […] L’émergence de l’Amérique comme superpuissance économique, d’un côté, et le développement fulgurant de l’Union soviétique, de l’autre, avaient fondamentalement changé le rapport de force dans le monde.“2)

   

1) Ces citations sont tirées d’un article du 28.7.1964 de l’hebdomadaire Der Spiegel, „Strahlender Herbst“, consultable en ligne: https://www.spiegel.de/politik/strahlender-herbst-a-707cde81-0002-0001-0000-000046174288 (dernière consultation: 17.12.21).

2) Adam Tooze, „Le salaire de la destruction – Formation et ruine de l’économie nazie“, Paris 2012, pp. 495-496.